— Ce qu’il y a à faire n’est pas très compliqué. C’est à la hauteur de n’importe qui.
— Il s’agit de classer les choses en deux catégories. Entre ce qui est récent et ce qui n’est pas récent.
— Et comment savoir ce qui est récent de ce qui ne l’est pas ?
C’est simple. C’est du bon sens et un peu de jugeote.
— Je lui montre un fax. Et ça ?
— Ça, ce n’est pas récent. Tu as compris ?
— Je crois.
Entre deux étagères je vois un bureau au loin, je reconnais Yannick au téléphone. Il me voit, me fait signe.
— Et lui, il est récent ?
— Il prends sa retraite bientôt, je vais le remplacer.
Des têtes d’enfants devant des ordinateurs. Ils remplissent des questionnaires.
Je pose ma main sur la tête de l’un deux.
— C’est récent ?
Mon interlocuteur ne relève pas ma plaisanterie. Il me tends un plat à gratin. Tu peux mettre ta peinture là dedans.
Je sors les tubes de mon sac à dos. Je pense que plus je vais mettre de la peinture dans le plat et plus mon sac sera léger le soir en rentrant chez moi. Mais j’ai peur de finir les tubes de certaines couleurs. Peur du manque.
La couleur sort du tube en gros serpentins, elle se tortille, s’enroule sur elle même. Du blanc d’abord. La moitié du tube y passe. Puis un bleu très sombre qui vient se poser au dessus du blanc. Des vaguelettes se forment, comme une mer dans le plat en inox. Je le berce délicatement dans mes mains. Des mélanges de blanc et bleu se forment. Le bleu de la mer se transforme en bleu du ciel. Je suis happé par cette vision de balancier, pendulaire, je somnole, je m’assoupi debout.
Après le travail nous allons au café, notre table est excentrée, le serveur ne nous voit pas, j’essaye de le héler mais il ne me voit jamais. Je suis invisible. Il y a des jours comme ça.
Je me demande si la peinture dans mon plat est sèche. La couche est si épaisse que ça va mettre des semaines.
Je touche un boudin bleu du bout du doigt, sous la fine pellicule je sens que c’est mou en dessous.
Ce n’est pas encore sec.
Il faut être patient c’est encore récent.
