Lucioles

L’image est très sombre. Il faut s’habituer à l’obscurité. On commence à distinguer des formes spectrales, des petits points lumineux tournoient, comme des feux follets.
— Ce sont des esprits, les âmes qui dessinent une aura autour des ombres des vivants, il te faut t’approcher.
— On dirait des électrons qui tournoient autour d’atomes.
— Un peu comme dans le cosmos, quand les planètes tournent autour d’un soleil.
— Et si le cosmos était en nous ? Et si les étoiles et planètes étaient les atomes d’une seule et même entité ?
— Je ne sais pas si je pourrais installer ce simulateur sur ma machine. Il faut une puissance de calcul extrême.
— Le logiciel se calque sur tes plus grandes peurs, te les projette pour que tu puisses les explorer comme dans un jeu d’aventure.
— Comme la chambre 101 dans 1984 ?
— Là où tout commence c’est aussi là où tout finit. C’est l’idée du concepteur.

Je reprends la partie. Le décor a changé. Je suis dans une chambre d’enfant, des peluches alignées sur une étagère me regardent. Il va se produire quelque chose si je me mets à bouger. La peur m’envahit, mon cœur s’accélère. J’ai peur, j’ai froid.
Je dis que j’ai peur à voix haute à mon ami à côté de moi.

— N’aie pas peur, me dit mon ami.

Je tends la main vers un ours en peluche. Les pupilles de l’animal se dilatent. Ses yeux se remplissent de larmes de sang. Toutes les autres peluches se mettent à saigner par les yeux. Des yeux vitreux énormes, sombres comme la nuit, se mettent à pleurer. Le sang est épais et visqueux, il imbibe et assombrit la fourrure. Un voile d’ombre se propage sur leurs corps menus.
Je tente de comprendre, je veux revenir en arrière, mes mouvements sont bloqués par la porte qui s’est refermée derrière moi. Je dois avancer, saisir la peluche, la consoler, interrompre l’hémorragie. Je ne veux pas la perdre, il est trop tard.

— Quand on voit trop, les yeux se blessent, finit par dire la peluche.
— Il n’y a plus rien à faire, tu ne pourras rien oublier même si tu regardes la lumière jusqu’à te brûler la rétine. Les images sont à jamais en toi.

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