Je suis à un poste frontière.
Ma voiture est défoncée sur le flanc. J’ai eu un accident.
Le militaire en fait le tour d’un air soupçonneux.
Je lui tends les papiers.
Je ne suis pas palestinien, il me parle comme si j’étais un chien. D’abord en arabe puis il jure en hébreux.
Il ne sait pas que je parle les deux langues. Je lui demande d’être courtois. Je lui dis en hébreux que je comprends ses insultes. Une mise au point inutile. Il me demande de me mettre les bras sur le toit de la voiture et d’écarter les jambes. Il me fouille.
Soudain des avions de chasse vrombissent au-dessus de nos têtes. Des explosions, du sable, de la fumée.
Le garde-frontière semble habitué. Il continue. Je lui demande de gagner un abri. Il n’écoute pas. C’est une machine qui exécute son programme. Il me dit de me calmer que mes papiers ne sont pas en règle. Il m’interdit de franchir le check-point.
Les explosions se rapprochent. Des gerbes de feu, de poussière. Je suis touché, déchiqueté.
Je suis au téléphone. Je parle avec la mère d’un ami. J’entends son fils derrière elle dans le combiné :
— Elle n’a plus toute sa tête.
— Elle dit : je sais, je sais… mais elle ne comprend plus rien.
— Et toi, comment vas-tu ?
— J’ai perdu une jambe, un bras et un œil. Ces idiots m’ont posé une jambe de bois comme celle du capitaine Achab.
— Tu sais bien, c’est une histoire de mutuelle : pas d’argent, égale prothèse merdique.
— Sans un œil tu dois ressembler à Popeye, ou pire, à Moshe Dayan ! (rires)
— Comment tu peux encore vivre dans un pays pareil ?
Il ne rit plus.
— Je suis habitué. On s’habitue à tout.
